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Maj le 13/10/2022

Cher Arnaud,


Voici mes réponses, au jour dit, et toujours par l’intermédiaire de ton professeur.

Merci de tes questions. Elles témoignent de la réalité de ton travail de recherche et elles sont toutes intelligentes et pertinentes.

Elles m’ont beaucoup... interrogé et parfois même turlupiné !

Aussi, j’espère que mes réponses seront à la hauteur de tes attentes et te donneront, à toi comme aux camarades de ta classe, ainsi qu’aux lecteurs de votre « Litté Mag »,  matière à songer.

Bonne suite de trimestre et d’année scolaire. (Courage, Noël n’est plus très loin !)


Reçois mes toutes amicales salutations.

Arnaud, 15 ans, fan de Jeanne

Jacques Cassabois : Il y a toujours deux aspects dans un choix. Le visible et l’invisible. Le choix conscient, dont on peut expliquer les raisons et les causes cachées qui le motivent mais qui ne se laissent pas cerner facilement.

 

Au commencement, ce n’est pas moi qui ai eu l’idée, mais mon éditrice. Elle me connaît bien et pensait que ce sujet pouvait m’intéresser. J’ai accepté aussitôt et sans connaître Jeanne particulièrement. J’ai accepté parce que ce personnage me rappelait de bons souvenirs d’enfance ; les leçons d’histoire de mon instituteur, dans mon école laïque et la statue de Jeanne qui se trouvait dans l’église de mon village. Son épée me faisait rêver et j’ai souvent essayé de m’en fabriquer une en noisetier, qui soit aussi élégante que la sienne. Mais j’ai toujours cassé mes bouts de bois (avec un nom comme le mien, tu me diras...)

Voilà ce qui m’a décidé à accepter. Un peu léger, non ?

 

Mais la partie visible est portée par une puissante énergie cachée. En fait, quelque chose m’attirait en Jeanne. Quelque chose de diffus. Je sentais qu’elle était un moyen de me connecter à « l’enfant absolu », que j’évoque sur la page d’accueil de mon site et qui m’accompagne depuis que j’écris. Mes souvenirs d’enfance, en fait, n’étaient peut-être qu’un appât pour me diriger vers lui, à travers le travail que ce roman allait me demander.

 

Parfois, lorsque tu prends une décision, tu ne sais pas expliquer pourquoi tu l’as prise, mais tu es convaincu qu’elle est juste. J’ai eu cette impression avec ce projet. Je savais peu de choses sur l’héroïne et le premier livre que j’ai lu pour faire sa connaissance (Jeanne d’Arc de l’historienne Colette Beaune) a été une révélation. Comme un feu qui passait au vert et m’encourageait à m’élancer. Ensuite, plus je découvrais sa vie fulgurante, l’ignominie de son procès et le stratagème infâme qui l’a conduite au bûcher, plus j’avais envie de m’immerger dans la complexité de son épopée, pour mieux la comprendre et m’efforcer d’en rendre compte le plus clairement possible.

 

Alors, voyant tout ce qu’elle me permettait d’écrire sur son engagement, son courage, sa franchise, sa force morale, valeurs qui nous sont plus que jamais indispensables aujourd’hui, j’ai eu la preuve que ma première intuition ne m’avait pas trompé. Je me suis même parfois demandé lequel des deux, du projet ou de moi, avait en réalité choisi l’autre.

Jacques : Depuis qu’ils se sont dressés sur leurs jambes, les hommes, en contemplant le ciel, ont été happés par l’infini de l’univers et se sont violemment interrogés sur la création du monde et la place qu’ils y tenaient.


De tous temps, ils ont cherché des réponses pour apaiser leur angoisse, se situer, accepter leur faiblesse et également trouver des raisons de se respecter eux-mêmes.


Les religions sont nées de ces nécessités et le fruit de leurs spéculations qui élucidaient les mystères de l’univers, en se ritualisant, s’est changé en codes, modes d’emploi et guides à la fois pour aider les hommes à s’inclure dans l’infini et s’y relier.


RELIER. En latin, religio signifie attention scrupuleuse, délicatesse, conscience. C’est un dérivé du verbe ligare : attacher, lier, assembler.


Les religions offrent donc à leurs fidèles un chemin qui les relie, eux, parcelles d’univers, à l’immensité immesurable. Et j’aime particulièrement que ce chemin doive se parcourir sous l’égide du scrupule, de la délicatesse et de la conscience. J’aime aussi l’idée de cohésion à laquelle il renvoie, par cette idée de lien qui, pour moi, n’est pas une entrave à la liberté, mais au contraire le rappel de notre inéluctable responsabilité à l’égard du vaste champ de la vie, dont nous ne sommes que des étincelles.


Il est souvent utile de revenir à l’étymologie pour entendre à nouveau la voix profonde des mots, couverte par tant et tant d’usages qui en ont affadi le sens.


Selon les religions, le principe qui anime cet infini, même s’il est toujours le même, revêt des identités différentes : Dieu, Yahvé, Allah, l’Inconnaissable, le Sans Nom, ou encore l’énergie cosmique.


Je ne vais pas m’attarder sur le passage des religions primitives au monothéisme, mais tu sais que dans des régions-clé du monde, de grands initiés sont apparus pour faire évoluer les anciens dieux : Moïse, Jésus, Bouddha, Mahomet...


Je ne vais pas non plus insister sur les dérives des religions qui ont servi les appétits de pouvoir et la vanité des hommes qui les ont dirigées et je ne cèderai pas à la facilité de les opposer les unes aux autres, en comparant les effectifs des victimes de leurs intolérances respectives, car elles ont toutes connu leurs heures de gloire et leurs ténèbres.


J’ajouterai simplement que cette quête du Principe qui est au cœur de l’univers peut aussi être menée en des démarches solitaires, à l’écart des croyances organisées.


Certes, une religion offre la chaleur d’une communauté, sa sécurité, ses voies de recours. On peut y exercer sa solidarité, trouver réponse à ses doutes, fortifier sa foi par la présence des autres, évoluer dans sa recherche en communiant aux mêmes valeurs qu’eux.


La quête individuelle ou en petits groupes épars est plus incertaine, mais possible.


« Là où deux ou trois se réunissent en mon nom, souligne ce verset du Nouveau Testament, je suis au milieu d’eux. » (Matthieu, 18-20).


En tout état de cause, que l’on soit chrétien, musulman, juif, bouddhiste, agnostique ou athée, le grand défi lancé aux hommes de bonne foi est rigoureusement identique : soumettre sa vie, chaque jour, au plus exigeant et au meilleur des valeurs qui la conduisent.


La peur et la méfiance sont deux grands venins qui empoisonnent nos cœurs. Obstacles majeurs à l’avènement d’une véritable société de partage. Réduire leur emprise est notre affaire à chacun et nous n’avons aucune excuse pour retarder le moment de nous atteler à cette tâche. Elle est en nous, soumise à notre seule décision.


Et pour illustrer la difficulté de l’entreprise, je terminerai par ces mots-lumière, haut placés dans nos obscurités pour nous guider. Ils sont de Dom Christian, prieur du monastère de Tibhirine, qui remerciait par avance celui qui allait l’assassiner :


« Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’auras pas su ce que tu faisais,


Oui, pour toi aussi, je le veux, ce Merci et cet A-Dieu en-visagé de toi.


Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux,


Amen, In Shal-Lah. »

Jacques : Aussitôt qu’elle est devenue un personnage public, Jeanne n’a jamais cessé de lutter pour s’imposer. Dès Vaucouleurs, lorsqu’elle a cherché à obtenir de Robert de Baudricourt les moyens d’aller voir le dauphin à Chinon. Tu as vu comme elle a dû insister, revenir à la charge pour se faire entendre... Un vrai crampon !

Ces premiers combats sont la préfiguration du reste de sa vie, car une fois qu’elle aura quitté son pays natal, elle ira de bataille en bataille, toutes plus rudes les unes que les autres.

Bataille pour convaincre le futur Charles VII, les juges ecclésiastiques qui l’ont longuement interrogée à Poitiers, pour s’assurer qu’elle n’était pas une simulatrice. Puis, cette reconnaissance obtenue, se battre vraiment, armée de pied en cap, en chef de guerre. Se battre contre l’ennemi, dans le feu, le sang, la souffrance. Se battre aussi, pied à pied, pour se faire respecter des capitaines, des maréchaux français qui n’avaient jamais été commandés par une femme.

Imagines-tu cela ? Des costauds, habitués à s’étriper, se soumettre à l’autorité d’une moitié de femme, une pucelle, roturière de surcroît et fille de laboureur ! C’était inconcevable ! Aujourd’hui, les femmes assument les mêmes tâches et les mêmes responsabilités que les hommes à tous les niveaux et on n’a absolument aucune idée du séisme qu’a été Jeanne.

Mais le pire, c’est qu’elle réussissait ! Elle annonçait ses victoires et elle les remportait ! La réussite attire la jalousie autant que la sympathie, et ceux qui viennent au secours de la victoire, hier comme aujourd’hui, sont toujours premiers à retourner leur veste. Certains ne lui pardonnaient pas d’avoir tant de talents guerriers et c’est un autre aspect des combats qu’elle a dû livrer. Ceux contre l’hypocrisie et la haine des conseillers du roi déterminés à l’abattre.

L’aptitude inattendue de Jeanne pour la guerre, sa pugnacité extraordinaire et sa détermination, sont, en marge des voix, un de ses mystères.

Je pense que Jeanne, née dans l’humilité, comme d’autres avant elle et d’autres après, attendait son heure pour se révéler. Lorsqu’elle a senti l’impulsion, elle s’est totalement métamorphosée, transcendée, au sens littéral (et non foot-ballistique) du terme.

Jeanne était un être exceptionnel, prédestiné. Une femme, une humaine, et je regarde ce qu’elle a accompli comme une exhortation lancée à chacun de nous, pour nous inviter à nous réaliser à notre tour. Tous, nous recelons une œuvre en attente, à notre juste dimension. Mettons-nous à l’écoute, entendons l’appel. Nous trouverons les moyens d’avancer tels que Jeanne les a trouvés et nous connaîtrons aussi des transformations qui étonneront nos amis.

Jacques : J’étais certain que je rencontrerais mieux Jeanne à ma table de travail, en m’imprégnant des textes qui parlaient d’elle et de son temps.  Les textes du XVè siècle notamment.

Il n’y a rien de mieux que les mots des contemporains (chroniques ou œuvres littéraires) d’une époque pour nous la restituer. Quand tu lis la traduction de l’ÉPOPÉE DE GILGAMESH, tu prends la Mésopotamie d’il y a 3500 ans, en plein cœur. Quand tu lis le TRISTAN de Béroul dans le texte médiéval ou même dans sa traduction en français contemporain, tu opères une remontée vertigineuse vers le XIIè siècle qui te renverse. Ce sont chaque fois les voix des hommes d’hier qui te parlent et, bien sûr, le décalage est si grand entre eux et nous, qu’on a besoin d’être aidés par les spécialistes de leur langue et de leur temps, pour bien les entendre.

En y réfléchissant, je pense que ce voyage immobile à la rencontre de Jeanne correspondait le mieux à la nature de ma recherche qui était avant tout intérieure.

Je voulais me représenter Jeanne, savoir comment elle avait réagi, ce qu’elle avait pensé dans toutes les circonstances où j’allais la faire apparaître. Qu’avait-elle éprouvé lorsqu’elle avait quitté sa robe pour se vêtir de vêtements masculins ? La première fois qu’elle avait eu une armure sur le dos ? Comment avait-elle fait ses premiers pas sous cette ferraille ? Et son entrée dans Orléans sous les acclamations ? Et sa façon d’écouter l’angélus du matin ? Et son désespoir de voir ses hommes se venger sur les prisonniers anglais ? Et son émotion lorsqu’elle priait ?...

Les réponses à ces questions sont toutes de ressenti. Elles ne se trouvent pas dans les livres d’Histoire. L’émotion, les larmes, la colère, la stupeur, la hargne... il faut aller puiser en soi les moyens de les dépeindre pour leur donner vraisemblance. Ce matériau-là se trouve dans tes archives intimes, constituées de tes expériences et autres états d’âme accumulés depuis que tu existes.

Subjectives, ces archives sont aussi indispensables que les archives historiques.  


Jeanne était bergère ? Avoir gardé la vaches quand j’étais gosse m’a aidé. Sa ferveur ? L’éducation catholique de mon enfance m’a permis de me représenter son rapport à Dieu.

Quant à la haine de ses adversaires, à la jalousie, à la fureur, à l’ambition, à la fourberie... comme beaucoup, je possède une collection bien fournie de ces épouvantails et j’avais l’embarras du choix.

Tu effectues ainsi des allers et retours permanents entre les personnages et toi, en t’appuyant (parce que ce n’est pas de toi que tu racontes la vie) sur les indices avérés, précis, rapportés par l’Histoire.


Évidemment, il m’a aussi fallu connaître certains lieux. Ce n’était pas le plus compliqué. Sans avoir besoin de me déplacer, j’ai trouvé des plans sur internet, des cartes, des images de toutes sortes, qui me renseignaient amplement.


Une chose est étrange. Lorsque tu crées, tu ressembles un peu à un spéléologue. Tu rentres en toi, tu descends dans tes cavités intérieures, plus ou moins familières. Tu crois connaître le terrain, mais il arrive toujours un moment où tu ne sais plus où tu es rendu, ni comment tu y es parvenu. C’est là, dans ce lieu inattendu que tu retrouves des souvenirs que tu ne te rappelles pas avoir vécus, que tu découvres des choses que tu sais sans les avoir jamais apprises. Comme si tu parvenais sur un site ancien de toi-même, avec des ancêtres qui se lèvent pour t’accueillir, et d’anciennes mémoires qui tiédissent ton cœur. Tiens, suppose que tu tombes sur des sarcophages mérovingiens en bêchant ton jardin ! Pense au remuement en toi.

Ce que tu retires de telles rencontres t’offre avec une telle justesse ce que tu espérais trouver, que tu en restes pantois et incapable d’expliquer ce qui t’est arrivé. Cela échappe totalement à ton raisonnement déductif.

Ce processus mystérieux, où l’on est en proie à nos chimies intérieures, se résume généralement d’un simple mot : imaginer.

Jacques : Oui. Mais disons plutôt historiquement fondé, qui s’appuie sur des faits nettement établis par des historiens, par des témoignages, par des réalités rigoureuses. J’ai été prudent, j’ai recoupé mes sources et j’ai plusieurs fois laissé de côté des épisodes intéressants d’un point de vue romanesque, mais historiquement douteux. Je peux ainsi justifier ce que j’ai écrit.

L’histoire n’est pas une science exacte et les historiens qui l’interprètent sont loin d’être tous du même avis. J’en ai rencontré (et pas des moindres) qui se contredisaient dans leurs propres livres.


Pour des faits qui remontent à plusieurs siècles, certains aspects de la chronologie sont parfois difficiles d’établir avec certitude. Quant aux sources et aux témoignages du XVè siècle, il faut non seulement les lire, mais aussi savoir les décrypter (ou si l’on ne sait pas, se référer à ceux qui savent), connaître aussi l’auteur du texte. Est-il partisan du roi de France, du roi d’Angleterre ou du duc de Bourgogne ? Selon les cas, le point de vue sur Jeanne sera  différent, amical ou hostile.


On est parfois obligé de faire parler les silences. Je l’ai fait une fois, volontairement, pages 220-221.

Lorsque Jeanne a été capturée devant Compiègne, Philippe III, dit « le Bon », duc de Bourgogne s’est aussitôt transporté sur les lieux de sa capture. C’était un événement tellement inattendu, que le duc était impatient de voir cette furieuse qui tenait en échec les armées d’Angleterre et de Bourgogne depuis plus d’un an. Son secrétaire particulier, Enguerrand de Monstrelet, l’accompagnait et assistait à cette rencontre. Pourtant, curieusement, dans sa chronique il n’en souffle mot, avançant le prétexte ahurissant qu’il ne se souvient pas de ce qui s’est passé.

Mon œil, tiens ! Cette amnésie subite, même à six siècles de distance, m’a énervé.


Je me suis dit que le face à face n’avait sûrement pas tourné à l’avantage du patron et que le valet avait préféré faire semblant d’oublier l’événement, pour ménager son employeur. Jeanne, peut-être, ne s’était pas comportée en vaincue face au puissant seigneur. Je pensais qu’elle lui avait tenu la dragée haute et j’ai aimé la voir ainsi, toujours combattante malgré sa défaite. J’ai donc écrit cette rencontre dont nous n’avons pourtant aucune trace, en l’imaginant totalement, usant là d’une liberté de romancier qu’un historien ne peut évidemment pas se permettre.

Jacques : Un peuple c’est un ensemble d’individus vivant dans un même pays, liés entre eux par une histoire, des valeurs, des intérêts communs qui leur donnent une identité dans laquelle chacun, citoyen ou sujet, peut se reconnaître.

De ce point de vue-là, au début du XVè siècle, le peuple français n’existait pas.


En effet, la France, dont les frontières n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, était occupée par une mosaïque de « peuples » qui vivaient dans des territoires (duchés, comtés) indépendants du pouvoir royal central. Il y avait ainsi des Bourguignons, des Bretons, des Picards, des Poitevins, des Parisiens, des Angevins, des Dauphinois, des Normands, etc, dont les princes n’obéissaient pas tous au même roi. Certains reconnaissaient l’autorité du roi de France, d’autres du roi d’Angleterre, d’autres du duc de Bourgogne qui était plus puissant que ces deux derniers monarques et qui jouait double jeu, cherchant à s’allier parfois avec l’un, parfois avec l’autre.


Comment dégager une idée de peuple, dans cette diversité ? Sans compter que chacune de ces régions (Bretagne, Picardie, Poitou, Berry, Brabant...) était une mosaïque de terroirs, qui diluait encore la notion d’identité.

N’oublions pas non plus que ces pays étaient en guerre et que les gens étaient sans cesse attaqués, persécutés, violentés par des troupes de soldats qui vivaient sur le pays, en pratiquant la loi du plus fort. Personne n’était en sécurité. Jamais. La mort pouvait venir à tout instant, des ennemis, mais aussi des alliés.

Les paysans qui vivaient en terre bourguignonne, n’étaient pas à l’abri des pillages des soldats qui étaient censés les défendre. Ceux qui vivaient en terre française, étaient pareillement maltraités par des mercenaires du roi de France qui les payait avec un lance-pierres, parce que ses caisses étaient vides.

Les populations vivaient donc en permanence avec la peur au ventre.

Le fait que tu fasses référence à une réaction du « peuple » en faveur de Jeanne (en l’occurrence à une absence de réaction), prouve que nous avons évolué depuis ce temps et que nous avons heureusement intégré l’idée d’appartenance nationale, sinon d’identité, car cette notion est loin d’être stabilisée et pacifiée. Les questions qui se posent en Belgique en sont un exemple ainsi que celles qui ont agité la France pendant ces derniers mois, sans apporter de réponse.


Ces préliminaires posés, je reviens à ta question. Le peuple français non seulement n’existait pas, mais parmi les gens qui habitaient le territoire si certains adoraient Jeanne et espéraient qu’elle mette fin à la guerre, d’autres la détestaient violemment. Et de toute façon, parmi eux, laboureurs, artisans, commerçants, qui aurait pu lui venir en aide ? Personne. Nul n’était armé. Seuls les professionnels de la guerre pouvaient tenter une action contre les Anglais et surtout les politiques (roi ou ducs) qui auraient donné l’ordre de libérer Jeanne. Ceux-là, les puissants (surtout les conseillers qui influençaient le roi Charles VII, très faible à cette époque), n’ont pas levé le petit doigt comme tu le sais. Parce que la capture de Jeanne les arrangeait. Par sa franchise et sa droiture, elle était un obstacle à leurs combines et à leurs magouilles.

Jacques : Non. Quand j’écris, je ne sais jamais si mon livre va plaire ou non. Et je ne sais pas quel auteur peut le dire. Un livre est toujours un pari, un défi que l’on se lance et le résultat n’est jamais garanti. En tout cas, c’est ainsi pour moi.


Certes, c’est toujours une agréable surprise de constater qu’un de ses romans plaît aux jeunes, mais la séduction des lecteurs ne fait pas partie de mes critères lorsque je choisis un sujet (tu l’as vu dans ma réponse à ta première question).


Lorsque j’étais enseignant, pendant quinze ans je suis allé dans les écoles (de la maternelle au collège) faire écrire les élèves. Je commençais par leur faire inventer la trame de l’histoire et, au cours de cette étape, ils faisaient montre de beaucoup de banalité, me ressortant souvent des variantes de leurs séries télévisées, pensant que je ne m’en apercevrais pas. Je refusais toujours en leur expliquant que cette histoire n’était pas la nôtre, car elle existait déjà, que celle que nous cherchions était encore cachée et qu’il nous fallait  la chercher.

Je voulais qu’ils soient personnels. Mais il est plus facile de parler avec les mots des autres que d’inventer les siens, de mouliner à l’infini les idées de tous, pour ne pas détonner du groupe de ses pairs et mieux se faire accepter. L’originalité nous expose parfois aux moqueries des copains, à la censure, au rejet.

Je voulais surtout prouver aux élèves avec qui je travaillais qu’ils pouvaient s’étonner eux-mêmes de ce qu’ils étaient capables d’inventer, tous ensemble, avec mon aide. D’en ressentir de la fierté et du respect d’eux-mêmes.

C’est pourquoi, je ne veux pas trop me préoccuper de ce qui est censé plaire aux jeunes. Je considère que c’est à moi, à partir du sujet qui me passionne, de trouver le moyen de les intéresser.

Jacques : Oui, Arnaud. Ce n’est pas moi qui l’ai prise, mais mon éditrice et je l’approuve.

Je t’explique.

Ma maison d’édition, Hachette, dans le secteur où je publie, possède deux grandes collections, une collection de poche, Le Livre de Poche Jeunesse, et une collection brochée, Black Moon. La grosse différence entre les deux est le prix de vente. Autour de 5€ pour la première, autour de 15€ pour la seconde.


Il ne suffit pas de publier un livre, il faut aussi qu’il se vende, trouve ses lecteurs et le prix de vente peut justement être un handicap pour nombre de jeunes. La vente est importante à la fois pour l’éditeur et pour l’auteur. Le travail de l’un comme de l’autre n’est pas rémunéré à l’heure, mais au nombre de livres vendus. Et, un livre ou plusieurs livres du même auteur qui ne se vendent pas (et ce, indépendamment de leur qualité), finissent par dissuader l’éditeur de publier cet auteur, et peuvent aussi décourager l’auteur de continuer à écrire.


La question, pour un éditeur, est donc de savoir dans quelle collection un livre a le plus de chance d’être acheté.

Lorsque nous sommes tombés d’accord, mon éditrice et moi, sur un projet de roman sur JEANNE, nous avons aussitôt décidé, qu’il serait publié en poche.

Oh, je sais, il est bien plus gratifiant pour un auteur de publier un livre broché. Ça fait davantage bouquin. Et celui qui l’a écrit paraît un peu plus écrivain. À l’opposé, un poche se glisse... in the pocket, se froisse, se déchire, se plie, se brutalise. Le statut du poche, à l’évidence, est bien moins noble.

Pour moi, ce sont des apparences, car l’essentiel est que mon livre affronte le moins d’obstacles possibles (le prix en est un considérable) et parvienne plus facilement entre les mains d’un jeune, afin qu’il puisse le lire.

  rouver le moyen de les intéresser.

Jacques : Oui, mais j’en suis à la période préliminaire de recherche documentaire et, hormis des notes et des bribes de texte, je n’ai pas encore commencé à écrire le récit. Même si la documentation m’accompagnera jusqu’au dernier mot du roman, il y a un gros investissement initial à effectuer avant toute autre chose, avant même d’être certain que le travail engagé se terminera par un livre. C’est pourquoi, je préfère ne jamais parler de ce qui est en cours.

Quand j’écris, rien n’est aisé, et ce, depuis toujours. Je dois régulièrement affronter des périodes de doute assez pénibles. Donc, profil bas. Discrétion et travail.