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Maj le 13/10/2022


Transcription :


Paris le 12 août 1829

Monseigneur, J’ai l’honneur de transmettre, ci-jointe, à Votre Excellence, une demande du jeune Evariste Galois, à l’effet d’être admis au concours qui va s’ouvrir le 20 de ce mois pour l’école préparatoire (Sciences). Il est à ma connaissance que ce candidat, élève de mathématiques spéciales au collège royal de Louis le grand, est un des sujets les plus distingués de ce collège, et que par ses rares dispositions, il promet d’être pour l’Université une bonne acquisition. Je prie Votre Excellence de vouloir bien m’autoriser à ajouter son nom sur la liste des concurrents.

Je suis avec un profond respect,

Monseigneur,

de votre Excellence,

le très humble et très obéissant serviteur.

L’Inspecteur gal chargé de l’adminon de l’Académie,

Rousselle


 S.E. le ministre des affaires ecclésiastiques et de l’Instruction pque.

Source, Archives Nationales, France, F17 4176

Merci aux Archives nationales pour leur autorisation de reproduction
























Lettre d’introduction du recteur Rousselle






















Lettre de candidature d’Évariste (recto)


2 Candidature Ecole préparatoire.jpg


Transcription :


À son Excellence Monseigneur le ministre de l’instruction publique

Galois


 Monseigneur,


J’ai l’honneur de présenter à Votre Excellence une demande à l’effet d’ajouter mon nom à la liste déjà arrêtée des concurrents pour l’entrée à l’école préparatoire (Sciences). Depuis long-tems destiné à l’école Polytechnique, j’ai subi l’examen d’admission à cette école. Mais les espérances qu’on m’a fait concevoir de ce côté n’ont pu m’aveugler sur ma véritable vocation, et je ne peux que regretter de ne m’être pas fait inscrire à l’époque prescrite pour l’école préparatoire. Les encouragements des personnes placées à la tête du monde savant se joignent à mon propre goût pour me déterminer à embrasser cette carrière.

J’ose espérer, Monseigneur, que ( ...)


















Lettre de candidature d’Évariste (verso)

3 Candidature Ecole préparatoire.jpg


Transcription


(...) si votre Excellence hésitait à m’accorder l’objet de ma demande, les informations qu’elle pourrait prendre parleraient en ma faveur.

J’ai l’honneur d’être,

Monseigneur,

Avec le plus profond respect,

De votre Excellence

Le très humble et très

obéissant serviteur

E Galois

Elève du Collège  Royal Louis le Grand

1 Candidature Ecole préparatoire.jpg

Commentaire :


Daté du 12 août 1829, ce courrier du recteur Rousselle introduit la lettre de candidature d’Évariste à l’École préparatoire.

En tête de la lettre, sous la date, on observera une mention écrite en biais sur trois lignes :


closes (je ne suis pas sûr de ce mot)

arrivée trop tard

puisque le concours s’ouvre le 20.


À noter également deux mentions du nom « Galois ». Au-dessus du mot « Université » et dans la marge, au niveau de la première ligne.

Commentaire recto


Adressée au ministre de l’Instruction publique et des cultes, Évariste n’utilise pas l’intégralité de ce titre. Mouvement de répulsion à l’égard des cultes ?


Les premières lignes sont intéressantes.


« J’ai l’honneur de présenter à Votre Excellence une candidature à l’effet d’ajouter mon nom à la liste

déjà arrêtée (c’est moi qui souligne) des concurrents pour l’entrée à l’Ecole préparatoire (Sciences). »


Il sait donc pertinemment qu’il est hors délai.


Pourquoi n’a-t-il pas présenté sa candidature plus tôt ? Parce qu’il se croyait : « Depuis long-tems destiné à l’école Polytechnique » et qu’il a : « subi l’examen d’admission à cette école » ?  


Pourquoi croyait-il cela ? Parce que ses profs de maths l’en avaient persuadé (Vernier le premier, Richard a suivi.)

Comme il a conscience d’avoir totalement raté son examen, il change son fusil d’épaule et revient à une option qui faisait, depuis quelques mois, l’objet de discussions avec ses parents sur son orientation :


« Mais les espérances qu’on m’a fait concevoir de ce côté n’ont pu m’aveugler sur ma véritable vocation

et je ne puis que regretter de ne pas m’être fait inscrire à l’époque prescrite pour l’école préparatoire. »


En d’autres termes : «  J’ai foiré mon concours d’entrée à l’X, il faut que je me trouve dare-dare un point de chute pour la rentrée ! »

On a souvent prétendu qu’après avoir échoué à Polytechnique, il s’était rabattu sur l’École préparatoire. C’est impossible car les résultats du concours d’entrée à l’X n’ont été connus qu’à la mi-octobre.

Il assure donc ses arrières en présentant sa candidature à l’école préparatoire, jetant son va-tout, pressé par l’urgence. Les épreuves commencent le 20. Aucune lettre de recommandation n’est jointe à sa demande, comme il était d’usage. Il est trop ric-rac pour aller solliciter et se contente d’affirmer :


« Les encouragements des personnes placées à la tête du monde savant  se joignent à mon propre goût pour me déterminer à embrasser cette carrière. »

Commentaire verso

 

Évariste, anticipant que cette affirmation ne suffira peut-être pas, répond : « Rancarde-toi, mon pote. Tu verras bien que je pipote pas ! » Autrement dit :


« Si votre Excellence hésitait à m’accorder l’objet de ma demande, les informations qu’elle pourrait prendre parleraient en ma faveur. »


À la tête du monde savant ? À qui pense Évariste ? Cauchy peut correspondre à cette description. Cauchy qui a présenté (privilège exceptionnel, preuve qu’Évariste lui a vraiment fait forte impression) deux de ses mémoires à l’Académie, les 25 mai et 1er juin précédents 1.


Sur ce verso de la lettre d’Évariste, comme sur le recto, on constate l’absence totale de date. Était-ce une habitude de l’époque ? Est-ce que la lettre du recteur qui introduisait la candidature suffisait à faire date ? Ne m’étant pas livré à un examen systématique des candidatures des années 1828-1829 (qui n’entrait pas dans mon projet), je ne peux donc pas affirmer que les candidats avaient l’habitude de ne pas dater leur courrier, mais j’ai pu observer que la lettre d’Auguste Chevalier, admis à l’École l’année précédente, présente elle aussi une lettre 2  non datée, introduite par le recteur Martinaud de l’Académie de Douai, datée, comme l’est celle du recteur Rousselle, du 4 septembre 1828.

Ce courrier est lui-même appuyé par une lettre de recommandation d’un certain abbé Pinault, répétiteur à l’École préparatoire et ancien censeur du collège royal de Limoges que fréquentait Auguste.

Cet abbé Pinault s’y porte garant du « travail soutenu et de l’excellente conduite » de son poulain et rassure le recteur en ces termes : « ainsi en acquiesçant a son désir vous êtes sûr Monsieur, que vous accorderez votre appui à un sujet qui le mérite a tous egards. » (Restitution à l’identique du manuscrit.)


L’absence d’une lettre équivalente jointe à la candidature d’Évariste accréditerait une nouvelle fois l’idée que celui-ci s’est décidé au tout dernier moment, c’est-à-dire peu avant le 12 août 1829.


Je ne résiste pas au plaisir de retranscrire les qualités d’Auguste Chevalier, vues par le recteur Martinaud :


Pour moi, Monsieur le Directeur, j’ai l’honneur de vous réitérer l’assurance qu’en effet j’ai donnée l’année dernière, c’est que le jeune homme a de bonnes mœurs, un grand amour du travail, beaucoup de bon sens, et quel que soit aujourd’hui le degré de son instruction, il y a lieu de croire d’après la trempe de son esprit qu’il deviendra un professeur très utile un jour, s’il est admis à l’Ecole normale.

J’ajouterai que je lui ai reconnu pour le caractère, quelque chose de ferme et de réfléchi qui promettrait un sujet utile pour les fonctions administratives, lorsqu’il aurait l’âge et l’expérience convenables. Du reste, sa tenue est bonne et son extérieur agréable.


Le recteur Martinaud ne croyait pas si bien dire. Lorsqu’Auguste Chevalier eut l’âge et l’expérience convenables, il devint notamment secrétaire général de la présidence de la République de 1849 à 1851, député de l’Aveyron pendant quinze ans, après avoir participé à la création du Chemin de fer du Nord, réalisation saint-simonienne par excellence. Les saint-simoniens, dont Auguste a été un des adeptes avec son frère Michel, l’un des piliers du mouvement, sont en effet à l’origine du réseau ferré français, mais aussi du creusement du canal de Suez et du percement de l’isthme de Panama. Ils étaient convaincus que désenclaver les peuples, ouvrir des moyens de communication et faciliter le rapprochement des hommes contribuerait à établir la paix dans le monde. Idée magnifique, hélas régulièrement battue en brèche par les volontés de puissance et de domination économique, politique et religieuse.



JC

Septembre 2019


 1 René Taton, Revue d’Histoire des sciences, n°2, 1971, p.128

 2 Candidature d’Auguste Chevalier, Archives Nationales, France, F17 4170