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Maj le 13/10/2022

Petite escale chez la duchesse de Berry.

L'intrépide Marie-Caroline, bru de Charles X, est rentrée en France le 28 avril 1832, avec la ferme intention de chasser l'usurpateur Louis-Philippe, afin de restaurer la branche légitime des Bourbons en la personne de son fils, héritier présomptif du trône de France sous le nom de Henry V. Une première tentative de rassemblement de partisans échoue en Provence. On lui promet 2000 hommes, haut la main, il n'en vient que 60 ! Qu'à cela ne tienne, loin de se laisser abattre, l'audacieuse met le cap sur la Vendée qui lui a toujours manifesté son attachement, où Marie-Caroline est sûre de faire un tabac.


La police sait tout des intentions et des mouvements de la duchesse. Les républicains aussi. Ils comptent sur l'agitation qu'elle va provoquer pour décider le 7 mai d'ouvrir un second front de harcèlement contre le pouvoir, arrêtant officiellement le principe d'une révolte à main armée. À la première occasion donc, manifestation ou regroupement, ils déclencheront les hostilités. La mort d'Évariste, le 31 mai, tombe à pic pour leur fournir ce prétexte. Elle est signalée dans le bulletin de police, le soir même, par une curieuse mention lapidaire, qui semble jetée à la hâte, alors que le bulletin est prêt à partir à la signature du préfet : Mort de Legallois, sans plus. (Le patronyme d'Évariste était régulièrement calligraphié Gallois, et plus rarement Legallois, comme ici.)


Le lendemain soir, 1er juin, les Amis du peuple se réunissent dans un local de la rue Saint-André des Arts, pour arrêter les détails du soulèvement. Or la police est prévenue, bien entendu, grâce aux mouchards infiltrés chez les patriotes, et des scellés sont apposés sur la porte de la salle de réunion. Obstacle symbolique ! On les arrache, on force le passage et on chasse le factionnaire qui faisait rempart de son corps, " Allez, ouste ! " et on tient réunion. Le commissaire du quartier et ses sergents ne tardent pas à rappliquer et tombent sur le paletot des séditieux ! Explications musclées, hurlements, tumulte intense à la mode contestataire, grosses bagarres, sabres au clair et baïonnettes croisées... Les républicains s'y entendaient pour faire le coup de poing avec les cognes ! La force, cependant,  reste à l'autorité. Trente et un participants sont arrêtés, les autres parviennent à s'enfuir

(cf. bulletin de police du 1er juin).


Samedi 2 juin. Obsèques.

Deux à trois mille personnes, selon le journal La Tribune du 3, forment le convoi funèbre d'Évariste. Comptage à la louche. 2 à 3000, un tiers de marge d'erreur, une paille ! " Une députation des Amis du peuple, des élèves des Écoles de droit et de médecine, un détachement de l'artillerie parisienne... " Du monde en tout cas, rompu aux désordres, frémissant de la perte de l'ami, un peu, mais impatient surtout que le signal de la révolte soit lancé... sauf que ce signal ne viendra jamais, balayé qu'il sera par une rumeur galopante qui traverse l'assistance et la détricote peu à peu comme on fait d'un vieux gilet pour récupérer sa laine afin d'en confectionner un plus ample ! Une rumeur, quelle rumeur ? Lucien de la Hodde, ancien flic philippiste, la décrit dans son livre paru en 1850, Histoire des sociétés secrètes et du parti républicain de 1830 à 1848, p.86-87.





   



Le général Lamarque, héros de la grande Révolution, célébrité des campagnes napoléoniennes, grand massacreur qui a contribué à abreuver d'un sang impur, et prolétaire, et paysan, pour peu qu'il fût royaliste, les sillons des terres françaises et européennes, est au plus mal. Messire Choléra Morbus qui nivelle toutes les arrogances l'a délogé de sa retraite glorieuse en lui mettant la main au collet, après s'être payé son adversaire Casimir Perier, un mois et demi avant lui. Fameux trophées ! Coup double !

Que vaut la frêle réputation d'Évariste face à celle, écrasante, de ce géant national ? Frttt ! Frttt ! Frttt ! Les moineaux qui composent le cortège s'envolent aussitôt à tire d'ailes, vers les lendemains tonitruants qui se préparent. " Dispersion ! Dispersion ! " Aucun de ces patriotes, qui se précipitaient vers un défunt plus propice à la sédition, ne pouvait se douter que celui qu'ils abandonnaient ressusciterait un jour et que son soleil illuminerait la science des siècles après l'extinction de leurs quinquets !

Pour l'instant, ce 2 juin, le mot d'ordre circule efficacement, et le cortège ressemble bientôt à une chevelure attaquée par la teigne. Parvenu au cimetière du sud, l'assistance se retrouve, étique et clairsemée, pour écouter les hommages ronflants de Plagniol et Pinel.

- Clairsemée, l'assistance ? Allons donc ! Ils partirent deux mille...

- Clairsemée, vous dis-je, mon cousin ! si l'on en croit le bulletin de police du 2 juin, libellé en ces termes :









150 personnes versus 2000, si l'on considère le point bas de l'évaluation du cortège par La Tribune, c'est une débandade !

Les patriotes ont déguerpi, comme des lapins, les talons près du derrière, et ceux qui sont restés n'ont jeté que 70 francs dans le chapeau (gris forcément) qui circulait !


70 francs. Si l'on se réfère aux frais funéraires d'Alfred 17 ans plus tard, que l'on en déduit les 50 francs de frais religieux inutiles, il a manqué 177,5 francs à Évariste pour être enterré dignement. Que n'ont-ils songé, ces bâtisseurs de société nouvelle, à faire la collecte au départ du cortège, plutôt qu'à l'arrivée ! Mais quelle importance, le mort n'était qu'un petit fantassin. Ce n'était pas pour lui qu'on était là, mais pour lancer une nouvelle révolution.  Détails triviaux que ces questions d'argent ? Pourtant, quand il s'agissait d'organiser un banquet aux Vendanges de Bourgogne, aucun convive ne s'attablait sans avoir au préalable payé son écot !


70 francs, soit une moyenne de 46 centimes par personne !

46 centimes, alors que le droit d'entrée à la société des Amis du peuple se montait à 5 francs, et que la cotisation mensuelle exigée pour en demeurer membre était de 3 francs !

- Trois francs par mois !

- Oui ! La preuve.






46 centimes ! Le pain, nourriture essentielle des ouvriers et des pauvres, tellement défendus par les républicains, valait, dans la première quinzaine de juin 1832, en plein choléra quand les grains et les denrées circulaient avec difficulté, seize sous et demi le kilo, soit quatre-vingt deux centimes et demi, (cf. Et le choléra s'abattit sur Paris, de Ange-Pierre Leca, Albin Michel, p.185).

46 centimes !

Évariste ne valait donc pas davantage qu'une livre de pain d'estime, pétri par ses camarades !

Évariste qui du reste ne demandait rien et se serait réjoui que sa mort parrainât une émeute, voire une nouvelle révolution. Il regrettait tant de ne pas mourir pour la patrie et de sombrer dans un " misérable cancan " !


Toutes ses tentatives de vivant auront été marquées par l'échec, et l'instrumentalisation de sa mort ne fait pas exception à cette constante.


Les funérailles lamentables d’Evariste Galois

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